S. Burghartz u.a.: Seide, Sand, Papier

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Titel
Seide, Sand, Papier. Ein Basler Sommerpalais und seine globalen Bezüge


Autor(en)
Burghartz, Susanna; Herren, Madeleine
Erschienen
Basel 2021: Christoph Merian Verlag
Anzahl Seiten
240 S.
Preis
€ 28,00; CHF 29,00
von
Noémie Etienne

Seide, Sand, Papier. Ein Basler Sommerpalais und seine globalen Bezüge est un beau livre. Une mise en page contemporaine et claire, dont les éditions Christoph Merian sont coutumières, en font un plaisir à lire. L’ouvrage est très richement illustré d’images souvent peu connues. Ce soin apporté à la publication en tant qu’objet fait écho à l’importance accordée à la culture matérielle dans ce récit. Le livre est centré sur un bâtiment, qui fait partie aujourd’hui de l’Institute for European Global Studies à Bâle. Il s’agit à l’origine de la maison d’été du fabriquant de soierie bâlois Achilles Leisler (1723–1784) et de sa femme Marie Leisler-Hoffman. La demeure est connue en allemand sous le nom de «Sandgrube». Cet objet architectural permet de développer une histoire globale à partir de la ville de Bâle. L’ouvrage est également paru en anglais sous le titre Building Paradise et est disponible en Open Access.

Le livre est construit thématiquement, avec une légère progression chronologique à l’intérieur des chapitres, qui s’étend aussi plus discrètement sur l’ensemble de l’ouvrage. Le premier chapitre est une introduction résumant les méthodes développées par Susanna Burghartz et Madeleine Herren. L’un des apports majeurs de ce livre est d’articuler deux échelles, celle de la micro-histoire et de l’histoire globale. Comme l’indiquent les autrices: «Eine mikroglobale Perspektive verleiht auch jenen Akteuren Gesicht und Stimme […], die für lange Zeit aus dem Blickfeld der Geschichtsschreibung verschwunden sind» (p. 18). Relevant de l’histoire sociale et de l’histoire culturelle, cette approche fait ressortir des acteur·rice·s mais aussi des réseaux (familiaux, ou encore en lien avec la banque protestante). Elle offre un cas d’étude concret permettant d’élargir le récit en touchant des problématiques globales.

Le deuxième chapitre présente la famille Leisler aux XVIIe et XVIIIe siècles, tandis que le troisième se concentre sur l’émergence d’une nouvelle élite: les marchands-fabriquants-banquiers, dont les Leisler font partie. Ce groupe émerge dans le cadre d’innovations techniques et professionnelles qui traversent l’industrie textile au XVIIIe siècle. L’ouvrage relate ainsi le développement, dès la fin du XVIIe siècle, d’une classe sociale impliquée dans la fabrication des textiles (soieries et cotonnades imprimées connues sous le nom d’«indiennes»). Burghartz et Herren montrent comment la ville de Bâle est prise dans une dynamique de transformations techniques et de circulation des capitaux (p. 106) toujours d’actualité. La famille Leisler, en lien étroit avec d’autres familles célèbres comme les Burckhardt par exemple, est ainsi à l’origine de la Bâle baroque dont le patrimoine architectural est encore visible aujourd’hui (p. 109). En partant d’un cas précis, les autrices soulignent comment ces familles se sont aussi positionnées dans le marché global, en développant notamment une esthétique inspirée par l’Asie.

Les quatrième et cinquième chapitres nous font rentrer dans l’une des pièces les plus intéressantes de la maison: la chambre qui contient des papiers peints chinois, probablement fabriqués pour l’export. Burghartz et Herren relient la décoration intérieure du bâtiment, et en particulier sa chambre de papier-peint chinois, à la richesse et aux ambitions de la famille Leisler. Si Edward Saïd fait débuter son étude classique sur l’orientalisme en 1804, l’époque moderne n’est pas épargnée par cet intérêt pour l’ailleurs qui est souvent aussi un regard sur soi-même. Les élites aristocratiques collectionnent et utilisent des porcelaines, souvent importées de Chine ou du Japon par les grandes compagnies maritimes connues sous le nom de Compagnies des Indes (p. 133–138). Les aristocraties locales, voire la bourgeoisie et dans certains cas les classes populaires, ne sont pas étrangères à cette mode. L’historien Daniel Roche a montré comment, tout au long du XVIIIe siècle, la garde-robe des personnes plus modestes se diversifie et de quelle manière elle intégrait, tout au long du siècle, une proportion croissante de coton, même si ce phénomène a été récemment tempéré pour la Suisse.

Le cinquième chapitre nous permet de suivre le bâtiment dans le temps à partir de la Révolution française, tandis que le sixième et dernier chapitre ouvre des perspectives contemporaines et se concentre sur le XXe siècle, moment auquel le bâtiment devient propriété publique. La question de la traite quadrangulaire est mentionnée en un paragraphe de ces pages. La traite impliquait notamment des textiles, puisque les indiennes servaient de monnaies d’échanges en Afrique contre des personnes mises en esclavage. Les autrices suggèrent que les liens sont ténus: «Vermutlich hielt das Unternehmen den Sklavenhandel aus wirschaftlichen Gründen für zu gefährlich, aber es gibt zumindest Anzeichen (wenn auch nur wenig Quellenmaterial) für entsprechende Investitionen.» (p. 170). Au vu de l’importance du sujet et de son actualité dans les discussions publiques, un développement aurait été bienvenu. D’autant que la traite d’êtres humains représente l’arrièreplan tacite, mais monstrueux, de cette quête pour l’exotique qui occupe les élites européennes au siècle des Lumières. La rareté des sources est aussi une question que les chercheur ·eus·es adressent aujourd’hui frontalement, que celles-ci soient inaccessibles pour cause de restriction ou inexistantes pour des raisons structurelles (orale, non conservée, etc.). Des nouvelles manières d’épaissir les récits intègrent aujourd’hui les publications dans le domaine de l’histoire de l’art, de l’histoire ou de la littérature (Saidiya Hartman).

Pour conclure, ce bel ouvrage s’inscrit dans un intérêt renouvelé pour la place de la Suisse dans la consommation de produits non-Européens à l’époque moderne, qui s’est affirmé depuis les années 2010 chez les historien·ne·s de l’art et de la culture (Béatrice Veyrassat, Kim Siebenhüner). L’abondance de sources atteste de la solidité et de la nouveauté de cette recherche. Elle est la garantie d’un travail de première main et fait de l’ouvrage une référence. Les autrices se situent dans une approche historique centrée autour des objets et de leur consommation, qui se déploie aussi en anthropologie et en histoire de l’art depuis les années 1990. La perspective est parfois bourdieusienne: «Materielle Repräsentation und Kommunikationsprozesse sind eine zentrale Voraussetzung für soziale Distinktion.» (p. 140). Les papier-peint sont là pour marquer la distinction sociale et représenter une ouverture cosmopolite. On aurait aimé en savoir un peu plus sur leurs modes de production et de pose, leurs qualités plastiques, ou encore leur réception à travers les époques. Dans cette perspective, même si les autrices se sont entourées d’un groupe d’expert·e·s sur les arts asiatiques et les papiers peints, les travaux des historien·ne·s de l’art pourraient être plus présents dans la bibliographie, ce qui contribuerait à densifier encore cette focale passionnante sur les objets et l’architecture.

Zitierweise:
Etienne, Noémie: Rezension zu: Burghartz, Susanna; Herren, Madeleine: Seide, Sand, Papier. Ein Basler Sommerpalais und seine globalen Bezüge, Basel: Christoph Merian Verlag, 2021. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(1), 2023, S. 65-67. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00120>.

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